GERALD GENTA, le père spirituel du design Horloger
Il existe des hommes qui arrivent, par la concrétisation de leurs idées, à révolutionner leur domaine à tel point qu’on se demande pourquoi personne n’y avait pensé́ avant. Visionnaires qui bousculent tous les codes préexistants pour au final parvenir à établir une nouvelle norme s’inscrivant dans l’histoire. On pense notamment à Andy Warhol en tant que porteur du mouvement Pop Art ou encore à Tinker Hatfield, le légendaire designer de chez Nike qui a établi les règles dans le domaine de la basket ou Jonathan Ive pour l’iphone. Il existe un homme de cette envergure dans le monde horloger. Un homme qui a su briser les frontières existantes en apportant sa touche personnelle : Gérald Genta.
Il a conçu la Nautilus de Patek, la Royal Oak de Audemars Piguet, et une centaine de modèles de haute horlogerie pour Cartier, Bulgari, IWC, Universal etc… Considéré comme le Picasso de l’horlogerie, le « partenaire spirituel » des grandes marques a laissé un vide 10 ans après sa mort. L’industrie travaille souvent…en réédition ou collaboration face à la digitalisation et au manque de créativité, quand Gerald Genta avait ouvert la voie d’un travail de design inégalé dans cette industrie.
L’horlogerie doit presque tous ses succès commerciaux depuis plus de vingt ans à ce génie, et à sa créativité. L’Italo-Suisse Gerald Genta qui est décédé en 2011, laisse orpheline la relation designer – industrie horlogère. La suite n’est pas un cordon coupé : son épouse, Evelyne Genta a lancé il y a deux ans une association fondation à la mémoire de prodigieux designer.
Ambassadeur de la principauté de Monaco, Madame Genta nous raconte dans une interview exclusive sa vie aux côtés du plus grand designer de l’horlogerie et joaillerie, considéré comme le Picasso de cette industrie. Elle partage son actualité, les ventes chez Sotheby’s de dessins -véritable, ses projets de fondation, ses rêves et secrets avec quelques PIZZINI (cf petits papiers) !
Quelle est votre actualité Madame Genta ?
J’ai assuré 3 ventes successives online : à Genève, Hong Kong et NYC chez Sotheby’s des dessins de Gérald Genta, avant de continuer et amplifier le travail de l’association Gérald Genta Héritage pour la seconde partie de l’année.
Racontez-nous ces ventes ? Une première ?
Vendues sur 3 continents, 99 dessins originaux (ndlr Royal Oak adjugé 546.000 CHF ; Nautilus à venir…) et leurs équivalent NFT des dessins, sont l’amorce de l’histoire en marche que je veux vivante et de transmission à toutes les générations. La vente en NFT est une première. J’adore cette idée de digitaliser les œuvres pour des acheteurs Millénials.
Le premier résultat des ventes a été très positif : le dessin de la Royal Oak a été certes la “star de la vente”, [ndlr : la vente globale a dépassé le Million] mais il est à remarquer que les autres dessins ont également connu un beau succès, achetés par les institutionnels (les marques), des Millénial et des collectionneurs passionnés, ce qui me remplit de joie.
Qu’attendiez-vous des ventes ?
Les ventes confirment l’immense héritage de Gerald Genta à l’horlogerie. Les ventes passées, nous nous réunirons pour faire avancer l’association Gérald Genta Héritage avec les membres du Conseil de la future fondation Francois Bennahmias, Président Directeur General de la manufacture Audemars Piguet, Paul Boutros, Directeur International & Amérique, du département montres pour la maison de vente aux enchères Philips, Alain-Dominique Perrin, Co-Président du comité́ stratégique du groupe Richemont et Président de la fondation Cartier, Michael Tay Président du groupe Singapourien Hour Glass.
En quoi les ventes sont une première exceptionnelle et une expérience ?
Mon mari était féru d’innovation et nous avons réussi à coupler la vente d’un dessin original avec son équivalent en NFT. Les clients ont pu acheter en monnaie traditionnelle ou en crypto monnaie une NFT et un dessin. Les œuvres et leurs provenances resteront ainsi universellement gravées dans « la blockchain » – merci la technologie – tout comme la signature éternelle du design Genta. Toute cette dimension digitale NFT/Blockchain/crypto aurait beaucoup plû à Gérald !
Comment avez-vous aborder le sujet du digital via les NFT dans la vente des œuvres de votre mari ?
Je dois dire que le savoir-faire et technologie a été mis en place par Sotheby’s. Ils ont une excellente expérience dans ce domaine et une excellente équipe.” They minted it”*. Nous avons décidé ensemble de la création de ces NFT, et de leur “couplage ” avec le dessin physique, et le certificat d’authenticité et tout ce qui entoure la technologie. Nous voulions toucher aussi une nouvelle génération qui n’a pas connu mon mari mais qui est sensible au design, à l’histoire et au contenu. Les nouvelles technologies ont permis tout cela. Je suis très fière d’avoir effectué la vente des dessins en NFT et exploré une expérience de la vente on line du design. C’était aussi une première expérience pour tout le monde. Avec le succès que vous connaissez ! Les NFT inscrive à jamais dans la blockchain cette histoire et cette certification d’authenticité et de pérennité qui est particulièrement intéressant dans notre cas.
Quel est l’objet ou la mission de l’association Gérald Genta Heritage ?
D’abord je dois vous dire que j’ai hâte de retrouver mes amis autour de l’association. Nous la développerons sans doute sur 3 piliers : faire vivre la partie « mémoire héritage », transmettre l’esprit à travers un Prix Gérald Genta du design destiné à aider un jeune designer pour se faire connaître, et enfin développer la collaboration avec les marques.
Parlons design et design expérience, avec vous comme témoin d’une vie. Quel est l’héritage stylistique de votre mari ?
D’abord, Gérald a créé une vraie relation de designer de marque et un duo entre une manufacture et une signature. Comme ce fut le cas pour la haute couture. On parle aujourd’hui des montres Genta comme du mobilier Le Corbusier, d’un modèle Ferrari Pinifarina, des yachts classiques Fife, ou du tailleur bar de Dior ! Gerald est entré dans la légende, considéré par Sotheby’s comme le Fabergé de la haute horlogerie. Et pourtant, cela n’a pas toujours été simple dans la relation aux industriels que sont des manufactures : il est toujours plus facile de reconnaitre le designer et sa signature au sein d’un marque à la culture familiale et indépendante d’ailleurs, que dans un grand groupe. Suivez mon regard…
En quoi Gerald Genta incarne un design d’expérience ?
Je crois qu’il n’aurait pas aimé le mot. La définition anglosaxonne semble pourtant la meilleure, recouvrant plus de choses que simplement être considéré comme un artiste. Il y une dimension technique et poétique. Pensez aux 3 grandes complications horlogères – de chronographe, de quantième perpétuel et de sonnerie, que maitrisait mon mari. Enfin ces micromachines design – qui se dessine au micron – augurent souvent le futur et un futur proche. Je crois qu’il pensait à l’expérience utilisateur en ouvrant aussi de nouvelles voies artistiques ou par la recherche de matières : par exemple une montre pour pratiquer du sport extrême ou réaliser une pendule de salon pour les grands de ce monde.
Concrètement des exemples de design intemporel et pourquoi ?
Selon lui, il faut avoir le courage de digérer l’ADN de la marque pour le recréer. «La Bulgari Bulgari a été la première montre à afficher un logo sur la boîte. La Royal Oak a fusionné la montre sport et la , parce que le boitier fusionne avec le bracelet. C’est une montre chic, pour la première fois, en acier de forme octogonale, mais l’intégration entre le bracelet et la boîte « scaphandrier » sont du pur design.
Pensez-vous que Gerald incarne un design narratif ?
Gerald a su travailler sur les fonctions de la montre, son esthétique et l’expérience produit avec son storytelling. Lorsqu’il lance Royal Oak , il parle de scaphandrier. Et quel pouvoir magnifique que celui des formes et celui des mots. De la simplification à la narration, je crois qu’il conjugue design, narration et même mélodie. Le design narratif consiste à bien nommer les produits – sans outrance ni euphémisation – mais surtout imaginaire et poésie, talent qu’avait Gerald.
Quel est l’héritage stylistique de votre mari ?
D’abord le design c’est l’apanage des industriels. Ensuite, c’est la rencontre créative et cette magie qui est rare. C’est aussi la contrainte : l’industrie a demandé à Gerald d’aller plus loin dans les complications face à la crise du quartz (1970 – 1980). Il a apporté une vision novatrice et dynamique en innovant par l’apport de nouveaux matériaux, anoblissant au luxe de nouvelles matières : l’acier, le bronze , le titane, l’Yttrium par exemple. Je crois que la signature Genta laisse une signature d’un design complet, technique, artistique, narratif, qui trace un chemin de sens qui embarque tous ceux qui ont croisé ses créations.
Quel est le projet du Grand Prix Gerald Genta?
Gérald était généreux et il se battait pour faire reconnaitre le design et la signature du designer dans les manufactures. Nous souhaitons avec la fondation aider des designers de talents. Le Grand prix Genta design permettra de sélectionner et soutenir les futures signatures de l’horlogerie. Dessiner le futur, c’est être capable de concevoir le monde de demain.
Quelle expérience souhaitez-vous demain pour l’Association ?
L’expérience du digital m’a montré que nous pourrions peut-être vivre une avec double expérience, physique et même d’expositions digitales. Je vais réfléchir avec le comité pour que nous puissions œuvrer sur la valeur de mon mari qui était la créativité, l’audace et l’innovation. Le digital nous a permis de faire des choses intéressants et novatrices. L’objectif sera de faire vivre demain une expérience qui touche toutes les générations.
Quel regard portez-vous sur l’industrie horlogère ?
D’abord, je crois que Gerald a apporté une dimension nouvelle dans cette industrie, par le design au service de marque, et en s’imposant comme une signature. Aujourd’hui, elle manque de créativité et c’est un vrai sujet dans cette industrie… L’avenir commercial passe d’abord par le design et aujourd’hui par l’expérience.
« Le génie n’est que l’enfance retrouvée à volonté » écrivait Baudelaire ! Qu’est -ce que le génie retrouvé dans le métier ou le secteur où vous avez œuvré ensemble [ndlr Evelyne fut co-dirigeante de l’agence Genta Design] ?
Je ne peux pas commenter sur le génie car celui qui avait du génie, c’était mon mari ! Je l’accompagnais pour aller au bout de ses rêves. Je pense que le génie qu’on lui attribue – les asiatiques parlent d’Icone of Time, les européens de Picasso de la montre – est le facteur miraculeux de retrouver chez lui une sensibilité artistique, un immense talent créatif, un sens de l’observation (couleurs, formes, nature) hors du commun. Gerald a pu mettre tous ces éléments au service d’un métier qui le passionnait : l’horlogerie. Cette alchimie est unique, et très difficile à reproduire. Enfin, pensez aux 3200 dessins, plus de 150 montres iconiques bestseller, une entreprise de design et fabrication qui employait jusqu’à 250 personnes en Suisse, un apport aux marques qui n’a jamais été égalé ! Il faut se rappeler que cette industrie a connu une crise – crise du quartz entre 1970 et 1980 sans précédent en Suisse, et que Gérald a participé à la montée en gamme de l’horlogerie suisse dans la création de modèles de haute horlogerie.
Quel était son rêve d’enfant baudelairien ?
Pour lui son rêve d’enfant s’est réalisé à force de volonté (que vous mentionnez dans votre belle phrase de Baudelaire que je découvre). Il a pu vivre de sa passion, créer, voir aboutir ses idées et les réaliser dans son parcours de génie horloger. Le temps a manqué pour aller plus loin mais il a quand même pu aller au bout, peindre et sculpter, ce qui était son rêve. Il nous a laissé 400 beaux tableaux : la peinture fut son vrai bonheur : son art sans attache industrielle et en toute liberté.
Et vous que répondriez-vous à cette question de votre rêve Baudelairien ?
Pour moi mes rêves d’enfant se sont également réalisés. Je rêvais d’une belle vie de famille et j’ai deux enfants magnifiques. Je rêvais de voyager et de travailler. J’ai certainement pu faire les deux au-delàs de ce que j’aurai pu croire puisque j’ai pu développer, gérer une entreprise extraordinaire. Quant aux voyages d’affaires pour livrer les gardes temps les plus incroyables à nos clients de prestiges, ils m’ont permis non seulement de visiter d’innombrables pays magnifiques mais également de rencontrer souvent des personnalités incroyables avec qui j’ai toujours gardé le contact. Ceci c’est le passé, mais mon rêve continue car je reste persuadée que d’une manière ou d’une autre l’aventure n’est pas terminée.
Qu’elle est cette prochaine aventure ?
Je crois qu’elle est aujourd’hui dans la rencontre et la transmission. Toute ma vie, j’ai eu la chance de faire des rencontres formidables. L’aventure est d’abord personnelle dans le but de poursuivre l’œuvre de mon mari, et accompagner mes enfants.
Quelle est la plus belle montre désignée par votre mari ?
Celle que je porte ! Le quantième perpétuel, harmonieux design hexagonal, équilibrée grâce à ce quantième qui offre un ciel en lapis lazuli et une lune en or -à la différence de la majorité des horlogers qui les peignent sur le cadran Gérald estimait que seul l’or et le lapis étaient digne du ciel et de la lune).
Quel regard portez-vous sur le moment de vie ?
Exister, naître et renaître ! J’adore l’idée de développer cette association, participer la mémoire de mon mari et aux rencontres que cela va offrir.
Propos recueillis par Alexis de Prevoisin Alexis de Prevoisin , consultant Retail & Experience Client, auteur de « Retail Emotions, retail in motion », Community manager indépendant pour Job Watch

Source image: Gerald Genta Heritage