Acheter du luxe de seconde main est désormais tendance ! Sur le papier, le luxe a toutes les vertus pour être éco-compatible dans l’économie circulaire de sa conception à la revente. Plus que jamais, un luxe écologique, durable, et de seconde main, est plébiscité par la Gen Z, futurs consommateurs de cette industrie. Un fait d’actualité retail interpelle : 100 mètres de file d’attente partout dans le monde devant les devantures des magasins Swatch pour acheter une SWATCH x OMEGA de l’icône Speed master à un prix hyper accessible de 250CHF!

Le marché de l’horlogerie de seconde main est en plein boom, la demande de produits iconiques aussi. Les acteurs (marques, distributeurs retailer, E-retailer) sont en pleine transformation sur ce créneau. Les manufactures cherchent aussi à organiser ce DtoC business (Direct to Consumer). L’enjeu pour ces dernières tient à faire cohabiter le vintage et la première main que seul peut résoudre l’expérience client ! Parce que le gâteau sera très gros, très vite : estimé à 70% des achats du luxe dès 2025 ! Opportunité ou casse-tête retail, la distribution online et offline en magasin cible les « conso’acteurs » de la Gen Z.

Changer (de)mains

Quand on parle seconde main, on parle vente circulaire, nouvelle distribution plus responsable, marché du pre-owned (ainsi nommé chez Bucherer) ou du vintage (terme utilisé par les plateformes web). Le pre-loved, plus poétique et surtout plus émotionnel, serait plus marketing. Toute la problématique des marques de luxe est l’écoulement de leur stock et la cohabitation de la première et seconde main. Les invendus restent souvent le « caillou » dans la chaussure retail… Il fut un temps, ils étaient détruits mais ce n’est plus envisageable depuis la loi européenne AGEC anti-gaspillage. Côté revente, l’écoulement des produits saisonniers se fait via des outlet… quand le luxe très rarement des soldes. Dans l’industrie horlogère, ce marché de seconde main représente autant en valeur que celui du marché de l’export Swissmade : 20 Mds$ ! (Source BCG pour le second hand / FHH pour le marché suisse). Et c’est sans compter la valeur mondiale des montres oubliées dans les tiroirs, estimée à plus de 55 Mds$. Bref un nouvel Eldorado en parts de marché, un relais de croissance pour d’autres et l’accès à une nouvelle clientèle -Millénial, fans et collectionneurs pour tous. Ce sont les ventes online et celles en salles de vente, qui ont mis le feu aux poudres ! Les leaders côté online & offline Watchfinder (groupe Richemont), Chrono24, ou Maison Bucherer côté magasin, cherchent à capter ce marché qui représente autant ou plus que le marché de la première main et qui progresse fortement à plus de 10% par an selon McKinsey. Avec 35% seulement des transactions en ligne, le marché reste structuré à 55% par une approche magasins et à 10% via les ventes aux enchères. Les marques stars entendent aussi jouer leur carte dans cette distribution en direct. Ce marché engage de nouveaux clients et annonce des changements de fond dans la distribution de facto ! Quand on sait que les intentions d’achat de 80% de consommateurs encore tournés vers des produits de luxe neufs pourraient évoluer très vite – selon les études McKinsey / BCG ou Deloitte – et se laisser tenter par des articles de seconde main. Le marché va devenir plus volatile dans les prochaines années.

Montres de luxe dans des présentoirs vitrés

Qui a la cote Pre-Loved ?

Watchfinder – qui a réussi l’accréditation de vente officielle de 19 marques établies et réalise un chiffre supérieur à 130 M€ – a demandé à 20.000 passionnés « quelle était la montre de leur rêve » ? Réponse : Rolex avec sa Daytona s’est imposé comme le modèle numéro 1 (avec 3,8 millions de recherches sur les moteurs dans le monde en 2020 pour s’en conforter), suivi de près par la Rolex Submariner puis la Patek Philippe Nautilus, … ou encore chez Audemars Piguet la Royal Oak, et enfin en 10ème position, l’Omega Speedmaster. On comprend le succès de sa version bio céramique – qui relance les ventes du groupe Swatch d’une icône à deux positionnements prix désormais ! A l’inverse, la stratégie d’édition limitée des manufactures (encore récemment la Nautilus Tiffany & Co) contribue à la création d’un marché plus cher à l’occasion ensuite. Les marques jouent avec la rareté sur le plan marketing, en fonction de leur outil de production et crée finalement toutes les conditions de la seconde main.

Désormais, l’enjeu est le pilotage de ces deux piliers marchés, et de bien gérer la seconde main. Les nouveaux acteurs accélèrent comme le confirme Edouard Guibert, country manager de Watchfinder : « les clients demandent de l’écologie circulaire côté Gen Z, et de l’authenticité et traçabilité numérique côté Millénial. Notre offre et nos magasins phygitaux servent cette nouvelle clientèle ».

Le Who’s who des “neo-watch-passionnista”

Intéressant de décrypter les critères qui animent ces passionnés (enquête Watchfinder auprès de 20.000 clients) à acheter plus cher et avec enthousiasme : le premier est l’âge et la disponibilité des garde-temps dans une industrie de première main qui fait attendre ses clients : 32 % des personnes interrogées ont indiqué que la montre de leurs rêves avait été fabriquée la décennie précédente, donc encore disponible et abordable. Plus probant encore : malgré l’influence grandissante des réseaux sociaux, aujourd’hui deux fois plus de personnes indiquent avoir vu la montre de leurs rêves pour la première fois au poignet d’une personne de leur entourage et non sur celui d’une célébrité ou d’un influenceur. Le magasin reste le point de contact essentiel pour une expérience réussie. Back to real life, Retail is not dead… dans ce jeu de distribution de la première main et de la seconde ! Dernier point étonnant de l’enquête : l’effet « self confidence » : porter « la montre de ses rêves » a un impact positif sur la confiance en soi pour une majorité écrasante (93,8 %), une sorte de « luxe-thérapie » ! C’est Laurent Picciotto, le patron de Chronopassion qui résume la situation coté client avec ses observations et conseils de vente ou d’acheteur depuis 35 ans : « Client, suivez votre instinct sauvage et faites votre parcours initiatique. Le prix ne constitue pas toujours la valeur ! Tout deviendra vintage par essence. En horlogerie, on parle bien d’art horloger… vous achetez donc de l’art, et vous ferez toujours une bonne affaire ».

Revue des canaux du Pre-Loved watches

D’abord au sommet, les salles de vente traitent le haut de gamme et donnent à rêver : Phillips Auction – leader en salle des ventes – signe une année record de 209 M$ en 2021 en 5 ventes depuis sa création en 1796. « C’est une année historique – a smashing year ! – un record depuis la création de notre maison avec 100% d’adjudication – ce qui n’a jamais été vécu dans l’histoire de Phillips – avec 27 modèles vendus à plus d’un million ! (contre 12 modèles en 2020)» s’enthousiasme Thomas Perrazzi – le directeur Asie des ventes horlogères chez Phillips. Ce canal devrait encore offrir de belles envolées à l’avenir, et rester un indicateur du track record des marques et des modèles.

Coté retail, les nouveaux opérateurs, avec un modèle du « web to store » développent une place de marché, accessible physiquement dans des magasins phygitaux connectés. A l’image de Watchfinder, une nouvelle distribution online/offline se construit : avec 5000 montres en permanence et 70 marques, le spécialiste des montres d’occasion ouvre désormais des magasins (Paris, Genève, Londres), ainsi que des pop-up stores. Son country manager témoigne : «Nous élargissons la clientèle et travaillons vers les nouveaux consommateurs ».

Les retailer historiques ont répondu en magasin par l’ouverture d’espace de seconde avec le renfort du digital dans une politique « store to web to store ». C’est le concept par exemple développé par la maison Bucherer, et demain, celui des manufactures, d’offrir des espaces magasins « pre-owned » : une offre certifiée par les experts magasins ou marques dans un espace lounge dédié design et accueillant, pour essayer, vérifier et garantir la transaction des montres (la blockchain sera bientôt dans le retail). L’étiquette des produits « pre-owned » portent toutes un QR code qui fait le lien sur le site web marchand. La Maison Bucherer qui traitait un volume estimé à 1,7 Mds de ventes avant la crise, se lance aujourd’hui sur ce marché en plein essor du « Certified Pre-Owned », et assoit sa position de plus grand détaillant de montres au monde – avec 70 magasins – jouant l’expérience sur tous les segments de marché et demain celui-là en lien avec les ventes online. Odilo Lamprecht, Chief Operation du Pre-Owned de Bucherer, en atteste : « Nous avons ouvert plus de 40 espaces Pre-owned et allons ouvrir des points de vente entièrement dédiés à cette offre ! L’enjeu pour nous, c’est de construire une relation clientèle d’expérience et surtout de confiance durable par nos certifications (celles des marques partenaire, la nôtre comme fabricant horloger, la traçabilité via le réseau bucherer ) dans un marché croissant qui s’adresse surtout à de nouveaux consommateurs ». .

De leurs côtés, les marques horlogères suisses et Audemars Piguet en tête, travaillent sur cette offre dans leurs maisons, et devraient organiser cette expérience façon « club de la marque ». Ce sont les AP houses : les clients sont au centre de toutes les attentions et immergés dans l’environnement de la marque, mais très souvent en attente de leur produit en whislist. Cela a incité l’entreprise non seulement à réduire son nombre de points de vente afin de mieux contrôler la qualité de l’expérience client, mais aussi de développer le concept AP House, où les amoureux de la marque viennent se détendre, se déconnecter le temps d’un voyage dans l’univers de la Manufacture.

L’organisation du marché vintage est un point clé de la réflexion stratégique de tous, un relais de croissance demain évident (peut-être même 50% du business) et voire l’assurance de lutter contre le marché gris en organisant et en contrôlant la revente, la traçabilité. C’est surtout l’occasion de renouer le lien commercial avec et vivre une expérience client unique.

Le graal de l’expérience client pour tous !

C’est par l’émotion, dans les magasins des marques et chez les distributeurs que tout va se jouer ! Les maisons horlogères doivent enrichir leur expérience en s’appuyant sur leurs atouts existants. Premier atout, les équipes de vente : elles sont le cœur du réacteur via des programmes de formation ad hoc. Chez Cartier par exemple – second vendeur en volume au classement des ventes- le programme de formation « Aspire » a été lancé. Second atout, les magasins possèdent physiquement les stocks présentés en boutique ou sur leurs plateformes e-commerce, coordonnés par leurs équipes atelier en magasin. Pas de délais, pas de mauvaises surprises… et de l’expertise à tous les niveaux pour le client intéressé. Le troisième atout est la certification technique même, garantissant l’authenticité et la qualité des montres que viendront renforcer la blockchain dans le dispositif. Dernier atout, le magasin est un lieu de rencontre pour les fans et les collectionneurs qui vivront leur passion à travers un cercle de passionnés ou club exclusif.

Seconde main d’avenir

Pour conclure, derrière cette opportunité de marché de seconde main se joue la place des magasins 3.0, celle de l’expérience client et la prise de parole des marques. Quand on sait que neuf clients sur dix engagés sur le marché de la revente sont également des acheteurs de produits neufs, on imagine que les maisons et distributeurs vont rapidement adapter leur stratégie magasin. Les organisations, les méthodes vont devoir être réinventé par rapport à ce nouveau marché qui appelle une nouvelle façon de travailler la vente et l’expérience client… avec émotion !

Cadran de montre de luxe générique

Alexis de Prevoisin, Consultant Retail & Expérience Client, auteur du livre « Retail Emotions, retail in motion ».

Crédit Photo – Pre Loved & Second Hand – Alexis de Prevoisin