Un cri du cœur résonne : “Gérald, tu manques à notre industrie !” – avait déjà exprimé Laurent Sage ! Il est indéniable que les montres qui continuent de dominer le marché ont été créées dans les années 70 par le talentueux Gérald Genta : la Nautilus de Patek Philippe, la Royal Oak d’Audemars Piguet, la Polerouter d’Universal Genève, l’Omega Constellation, la Rolex Cellini King Midas, l’IWC Ingénieur, la Bulgari-Bulgari… pour ne citer que quelques-unes des icônes. Son génie était indiscutable et sa signature valait celle d’une marque (qu’elle est devenue depuis !).

Cependant, nous devons nous interroger sur le fait que les modèles les plus vendus et les plus chers aujourd’hui datent principalement de cette époque, à la rare exception des designs de Richard Mille ! Dans le mille, pour Richard d’ailleurs comme designer.

Le manque d’imagination est flagrant de nos jours : pas de grand concours de design – hormis le prix des indépendants par LVMH – ou de collaboration avec les univers de la mode, à l’exception de Chopard. Pas de collaboration industrielle majeure avec d’autres industries et encore moins d’école de design horloger face à de nombreuses formations techniques horlogères…

Les modèles emblématiques de Rolex, tels que l’Oyster ou la Daytona, ont à peine évolué (heureusement au fond !). Souvent, l’événement de l’année se résume à un simple changement de couleur du cadran et une réédition anniversaire ! Seuls Richard Mille ou MB&F , donc, avec leur design totalement novateur, ont insufflé un nouvel élan à cette industrie. Cependant, cela reste encore marginal. Et les marques de la mode apportent plus de design comme Chanel … même si c’est à leur rythme !

Coté LVMH, on soulignera la “nurserie de marques”  – La Fabrique du Temps qui pourrait aussi accueillir plus de design ou un jour une jeune marque par un horloger “designer.

Trois explications sautent aux yeux pour expliquer l’appauvrissement design avec le temps : d’abord le chiffre d’affaires : la plupart des marques réalisent 40 à 50 % de leur chiffre d’affaires avec un modèle phare ou iconique. Cela démontre à quel point ces montres peuvent devenir des marqueurs sociaux et emprisonnent les marques qui jouent peu le risque du design. Il est plus facile de célébrer une innovation ou une complication extrême qu’un nouveau design.

Ensuite, le marketing de la marque a écrasé les designers ! Seul Genta est une signature, à de très rares exceptions comme Alain Silberstein, Maximilien Büsser. Les marques font parler leur égérie mais pas leur designer. Ou alors elles ne font parler que le produit – qui est aussi un statement pour certains ! Il est intéressant de “repenser” la place du designer dans chacune des manufactures, de la collaboration extérieure ou de la place du designer, voire de l’input de l’égérie. Bravo à Victoria Beckham qui signe l’aiguille d’une Breitling : un début !

Enfin, en troisième point – qui explique le tout – il faut gérer “les temps courts”, ceux des résultats, du chiffre d’affaires et du ROI, avec celui des “temps longs” de la création, du design notamment dans les entreprises. Mais à l’heure des start-ups, on aurait envie de voir des équipes créatives au fond d’un garage de manufacture !

Visuel Genta vs Frankenstein (ici) copie de 2 modèles mélangés !

Photo: Genus Watches. Visuel Genta vs Frankenstein (ici) copie de 2 modèles mélangés ! 

Il est également important de rester conscient de cette pauvreté des designs actuels, pour la combattre et y remédier, en particulier lorsque surgissent de « prétendument hommages » qui ressemblent davantage à des Frankenstein du design de Genta, ou de ces mariages de « la carpe et du lapin » !Il est temps de raviver la flamme de la créativité et de l’innovation dans l’horlogerie, et de remettre une dose de design et qui sait, peut-être que le retour d’un génie tel que Gérald Genta pourrait être le souffle d’air frais dont nous avons tant besoin ! C’est par le design à prix accessible que la génération future accrochera aussi à l’horlogerie de demain.

Alexis de Prevoisin, expert retail et auteur de Store Impact & Retail Emotions