À l’occasion de ses 30 ans, le Centre interrégional de perfectionnement (CIP) de Tramelan met à l’honneur trois décennies de formation et de passion horlogère à travers une exposition inédite.
Cette rétrospective met en lumière l’évolution des métiers, des outils et des gestes, mais aussi les femmes et les hommes qui font battre le cœur de l’horlogerie.
Entre tradition et modernité, l’exposition explore six facettes emblématiques du savoir-faire horloger et rappelle combien la formation reste un pilier essentiel de la vitalité industrielle de la région.
Pour mieux comprendre la philosophie du CIP et la démarche derrière cette exposition, nous avons rencontré l’un de ses formateurs, témoin privilégié de cette aventure humaine et technique.
Interview avec Fabrice Wuillemin, responsable de formations domaine horlogerie et formateur
Le CIP fête trente ans de formation en horlogerie. Comment résumeriez-vous cette aventure humaine et technique ?
En 30 ans, bien des choses ont changé, ont évolué. Mais ces dernières années, les transformations semblent s’accélérer, et notre défi, en tant que centre de formation privé, est de suivre ce rythme avec les moyens dont nous disposons. Aujourd’hui, un seul établi sur une chaîne de montage peut représenter l’équivalent de 13 postes de travail complets dans nos ateliers. C’est pourquoi nous investissons dans des équipements modernes, alignés sur les exigences des entreprises, tout en préservant l’enseignement des méthodes de travail plus traditionnelles. Cette double approche permet à nos participants de s’insérer dans un large éventail d’entreprises horlogères.
L’humain reste au cœur de notre métier. Être formateur, c’est accompagner des personnes pendant 1, 3, voire 6 ans, à travers des parcours de vie tantôt simples, tantôt semés d’épreuves : des réussites, des moments de joie, des naissances… mais aussi des doutes, des échecs, des deuils ou des maladies.
Notre rôle dépasse largement l’apprentissage de gestes techniques. L’accompagnement, l’écoute, le respect de chacun et la remise en question permanente de notre posture font partie intégrante de nos valeurs fondamentales en tant que formateurs.
L’exposition des 30 ans illustre six facettes de l’horlogerie. Quelles sont ces facettes ?
Les thèmes sont :
• La formation et l’apprentissage
• Le travail en fabrique
• Le travail à domicile
• Le poste de travail
• Les sous-traitants
• Les marques de Tramelan
Les quatre premiers thèmes ont été choisis pour leur rapport à la formation. Si nous formons, c’est évidemment pour les entreprises horlogères. Nos participants, en apprenant les gestes de base du métier, peuvent en peu de temps intégrer ces entreprises et être rapidement productifs. Nous les formons sur des techniques essentiellement manuelles, la base du métier, mais aussi sur des techniques qu’ils retrouveront en entreprise, comme le travail sous binoculaire, à l’aide d’huileurs automatiques et de tournevis électriques.
Le travail à domicile était le mode de travail dominant au début de l’industrie horlogère, et bien que marginal à notre époque, il nous semblait important d’en parler. Nous avons le témoignage d’une ancienne participante à nos cours qui travaille aujourd’hui à domicile sur des opérations de réglage. Elle y trouve un équilibre entre sa vie professionnelle et sa vie familiale avec des enfants en bas âge.
Le poste de travail a énormément évolué ces dernières décennies. Il s’agit désormais de mettre l’ouvrier dans les meilleures conditions possibles afin de diminuer au minimum l’absentéisme dû aux mauvaises conditions de travail. L’ergonomie prend en compte tout un environnement : de l’établi à la chaise, en passant par les accoudoirs, la lumière directe et indirecte, l’air ambiant et le niveau sonore d’une pièce. Richard Vaucher, fondateur de VOH, nous explique l’évolution du poste de travail en 30 ans. Il avait d’ailleurs reçu, comme premier mandat, celui de monter un atelier d’horlogerie pour le début de nos activités de formation au CIP.
Le thème des sous-traitants est abordé au travers de la famille Voumard de Tramelan, qui dirige les deux entreprises principales du village, EMP SA et Precirame Machines SA. Comme l’expliquent Géraldine Ryser-Voumard, directrice d’EMP SA, et son père Martial Voumard, fondateur de l’entreprise Precitrame SA au milieu des années 80 (entreprise qui a été scindée en deux entités en 2001), la famille et les entreprises s’identifient très fortement à la commune, en y développant leurs activités et en y habitant également.
Enfin, les marques de Tramelan sont un des thèmes essentiels de notre exposition. Le village a connu pas moins de 100 marques de montres au fil de son histoire. Nous avons sollicité l’association Montre-moi Tramelan, qui a pour but de valoriser le patrimoine horloger local, afin de faire découvrir ce riche passé à travers l’exposition d’objets, d’affiches, de documents d’époque et de diverses montres.
L’exposition mêle également témoignages vidéo et objets historiques. Comment ces deux dimensions, humaine et matérielle, se complètent-elles ?
Lors des interviews, nous voulions que le côté spontané et humain soit privilégié. Le but, pour un visiteur, est de pouvoir s’identifier aux témoins, par leur parcours de vie, leur parcours professionnel ou leur expérience de formation au CIP. Le témoignage de nos sous-traitants est, pour moi, remarquable pour comprendre le fonctionnement d’une telle entreprise, la relation de partenaire avec les plus grandes marques horlogères et les relations familiales dans ce milieu industriel particulier.
Les objets constituent un thème à part dans l’exposition. Le lien est fait par leur utilisation en milieu professionnel : la majorité de ces objets sont en effet utilisés par nos témoins dans leur quotidien au travail.
Le CIP joue un rôle clé dans la formation des futurs horlogers. Qu’est-ce qui distingue votre approche pédagogique aujourd’hui ?
Nous avons digitalisé l’ensemble de la théorie pour la formation d’opérateur en horlogerie AFP. Cela représente un investissement énorme en temps de travail et fait de notre centre de formation le premier à avoir franchi cette étape dans le domaine horloger.
Le déroulement hybride de la partie théorique apporte de nombreux avantages pour nos participants : le fait de suivre des modules de formation en ligne évite des déplacements en cours du soir ; les explications, sous forme d’animations, de vidéos, de textes et de jeux, peuvent être revues à tout moment via la plateforme LMS, accessible sur tout type de support numérique. Nous commencerons en 2026 la digitalisation de la théorie du CFC d’horloger de production.
Les jeunes générations n’ont pas le même rapport au travail ni aux gestes techniques. Comment le CIP s’adapte-t-il à ces nouvelles attentes ?
Le CIP forme uniquement des adultes en cours d’emploi. Ce sont soit des personnes en reconversion, soit des ouvriers qui travaillent déjà dans les entreprises horlogères et qui viennent chercher une certification chez nous. Le rapport n’est donc pas le même que pour des jeunes qui sortent de l’école pour un apprentissage. La motivation est omniprésente, d’autant que les personnes qui se lancent dans une formation savent que c’est pour 6 ans, s’ils veulent obtenir le CFC d’horloger de production.
En trente ans, vous avez sans doute vu passer plusieurs générations d’apprenants. Qu’est-ce qui vous marque le plus quand vous regardez ce parcours ?
La résilience et la volonté de nos participants. Pour suivre nos cours, ils doivent impérativement travailler dans le domaine à partir du troisième module au plus tard. Se lancer dans une formation qui durera 6 ans, pour les plus courageux, à raison de 1 à 3 fois par semaine tout en travaillant à plein temps, demande de nombreux sacrifices. Une personne de 40 ans qui s’engage dans notre cursus n’a souvent plus été sur un banc d’école depuis 20 ou 25 ans : il faut alors réapprendre à apprendre, avec toutes les difficultés inhérentes à la vie familiale, la vie sociale et, parfois, la barrière d’une langue pas complètement maîtrisée. Tous ces facteurs font que leur mérite à suivre une formation complète est remarquable.
Enfin, qu’aimeriez-vous que les visiteurs retiennent de cette exposition anniversaire ?
Depuis 30 ans, le CIP forme des professionnels capables d’intégrer aussi bien les grandes manufactures horlogères que les ateliers plus modestes ou encore les entreprises de sous-traitance. Cette insertion réussie repose sur des formations diversifiées, de haute qualité, étroitement alignées sur la réalité industrielle du secteur.
Nous avons également souhaité mettre en lumière l’évolution constante de l’environnement de travail dans l’industrie horlogère. Si les composants de base et les outils nécessaires à la fabrication d’une montre n’ont pas radicalement changé, leur précision et leur qualité ont connu une progression remarquable, portée par l’innovation technologique et le perfectionnement des machines. Parallèlement, les conditions de travail ont évolué : les entreprises investissent aujourd’hui activement pour offrir à leurs collaborateurs un cadre de travail optimal, tant sur le plan technique qu’humain.
Enfin, cette exposition rend hommage au riche passé horloger de Tramelan. La commune a accueilli plus de 100 marques de montres au fil de son histoire, sans compter les nombreux sous-traitants, fabricants d’ébauches, de cadrans ou de machines. Même si le nombre d’entreprises a diminué, l’horlogerie reste au cœur de la vie économique locale, avec plusieurs centaines d’emplois encore actifs dans ce domaine.
Exposition „30 ans au service du temps“
🗓️ Exposition du 17 octobre au 25 novembre 2025
Ouverte du lundi au samedi de 8h00 à 20h00, dimanche fermé
📍Tramelan
👉 Entrée libre