RENCONTRE : Interview de Clara Kessi, commissaire-priseur et experte en horlogerie
Clara a toujours affectionné l’art, la belle horlogerie, les pièces rares, mais pas seulement !
C’est aussi une amoureuse des océans et une « voileuse» sur le lac Léman. Son métier comprend la recherche, l’étude, la création de catalogues et la vente de montres de seconde main. C’est une passionnée qui raconte ici l’incroyable marché des ventes aux enchères.
Quel est votre métier, Clara ?
[Clara Kessi]: Je travaille dans une petite équipe polyvalente à Genève en tant que « Commissaire-priseur et Client Relations Manager » pour la maison de ventes aux enchères Phillips in Association with Bacs & Russo. Deux fois par année à Genève, mais également à Hong Kong et New York (pour un total de six ventes à l’international), nous nous attelons à la mise en place de ventes aux enchères de montres de collection. À cet effet, nous préparons les ventes avec une belle sélection de montres, nous créons des catalogues et en partie, j’anime la vente en tant que commissaire-priseur.
Quelle est exactement votre fonction ?
Concrètement, je m’occupe de préserver et entretenir la relation entre la maison de vente aux enchères et ses clients, qu’ils soient vendeurs ou acheteurs. Ceci consiste à rechercher des montres à vendre, ou être directement contactée par des collectionneurs qui souhaitent se séparer d’une ou de plusieurs pièces de leur collection. Je leur soumets nos estimations, et nous commençons ainsi une relation qui je l’espère perdurera dans les années à venir. Quand les montres arrivent enfin à nos bureaux, nous commençons le processus de recherche et vérification ainsi qu’à l’écriture de notre catalogue de vente. Nous complétons également nos recherches auprès des manufactures horlogères et travaillons étroitement avec leurs archives et département héritage. C’est une véritable chasse aux trésors et j’adore ça !
Chez Phillips, nous ne gardons en moyenne que 20% des pièces proposées afin d’offrir exclusivement des montres d’exceptions et en très bon état aux collectionneurs aguerris.
Ce qui constitue le prix et la rareté ? Une montre authentique à 100%, un excellent état, fait en petite quantité et bien sûr la provenance: qui l’a portée, d’où vient-elle, etc. Et puis, c’est l’histoire aussi de l’horlogerie : une Patek Phillipe vintage en acier pourra valoir beaucoup plus que le modèle en or par exemple.
Puis vient le temps de la mise en valeur des pièces et de leur promotion : aller à la rencontre des collectionneurs et acheteurs potentiels en organisant des expositions itinérantes aux quatre coins du monde : Singapore, Taipei, Hong Kong, New York, Los Angeles, Londres, et j’en passe. Les montres font une tournée VIP avant de rentrer à la maison, à Genève où elles seront mises en vente.
Les ventes aux enchères sont très souvent perçues comme des évènements privés et réservés exclusivement à des personnes privilégiées mais ceci est totalement faux. Nos ventes prennent place à l’hôtel La Reserve à Bellevue et sont ouvertes à tout un chacun qui souhaite voir des pièces d’exception, vivre l’expérience et l’adrénaline d’une criée ou même partager et s’instruire auprès de nos spécialistes horlogers.
Le jour J, l’événement culminant après six mois de travail : la vente aux enchères commence et il est temps pour moi de monter sur le podium derrière mon pupitre pour orchestrer la criée. Plus de cent montres sont vendues en une après-midi. À l’aide de mon marteau, je guide et accepte les enchères dans la salle à main levée des collectionneurs, celles de mes collègues au téléphone avec des acheteurs qui ne pouvaient être présents ou encore sur internet avec plus de deux milles participants. C’est un vrai casse-tête chinois, une danse contemporaine improvisée dans l’instant entre calcul mental, sourires, encouragement, changement de langues et couts de marteau que je dois orchestrer à la perfection.
Quelle place tient votre métier sur le marché ?
Je pense qu’il y a deux aspects pour une maison de ventes aux enchères de montres de collection. Le premier est de faire perdurer et faire vivre un savoir-faire horloger qui serait autrement oublié, en amenant sur le marché des montres rares que ce soit par leur complication, leur histoire ou leur esthétique en effectuant des recherches approfondies et de partager ces informations avec notre clientèle, mais pas seulement… Tout ce que nous vendons et sur quoi nous écrivons est disponible gratuitement sur notre site www.phillips.com. C’est une véritable librairie numérique, une base de données qui est accessible à toute personne qui serait intéressée par la haute horlogerie.
Le second aspect est plus spécifique au marché d’un point de vue commercial. Nous reflétons l’offre et la demande des montres au sens pur car nos ventes sont publiques. En vous référant aux résultats d’une ventes aux enchères, vous pouvez tout de suite attester de l’état du marché, ses modes, quelle marque ou modèle a le vent en poupe, etc.
Ces dernières années, par exemple, nous avons constaté un attrait grandissant pour le travail des horlogers indépendants comme François-Paul Journe, Philippe Dufour, MB&F, Roger Smith, Voutilainen pour n’en citer que quelques-uns.
Quelles compétences et background faut-il pour arriver à votre fonction ?
C’est une question difficile à répondre pour moi car en toute honnêteté, je suis arrivée dans le monde horloger par hasard. J’ai étudié les ventes aux enchères et l’histoire de l’art en Angleterre avec un master en art contemporain chinois, donc bien loin de l’horlogerie. Je ne suis d’ailleurs pas la seule car dans notre équipe nous comptons parmi nous un ancien avocat, une maîtresse d’école, un ingénieur en génie électrique, un journaliste et même un dentiste ! Ce qui nous lie tous : une passion des montres. Alors je dirais qu’une qualité requise pour pouvoir exercer ce métier est d’être passionné. Si vous êtes intéressés, et que vous continuez à vous informer, le reste suivra j’en suis sûre.
Avez-vous un conseil à donner à nos lecteurs pour travailler dans cette industrie et à cette fonction ?
Il n’existe pas de formation pour ce métier. J’apprends tous les jours, et on aiguise ses compétences sur le terrain avec une loupe à la main, en remontant une montre, et en écoutant ses ainés. Il faut également avoir un excellent contact humain car nous travaillons après tout dans le monde du service et de la vente, de la rigueur, de la patience et un peu d’humour et de calcul mental pour devenir commissaire-priseur.
Votre maxime sur le temps ?
Avoir du temps ! C’est la chose la plus précieuse que nous possédons. Un temps précieux pour apprendre, pour célébrer, pour aimer et pour vivre.
Votre montre?
Une Rolex Daytona bimétal référence 116503, mais je n’en suis propriétaire qu’à 50%, je vous explique. Mon mari et moi voulions tous les deux nous offrir une montre alors nous avons décidé de l’acheter à deux. Nous la portons chacun notre tour, l’un avec bracelet cuir et l’autre avec bracelet acier-or ! Plus qu’une montre, c’est aussi en quelque sorte mon porte-bonheur, je la porte religieusement pour les grandes ventes, pour garder un œil sur le temps qui s’écoule pendant les enchères !
Clara Kessi chez Phillips in Association with Bacs & Russo – James K./@waitlisted
Propos recueillis par Alexis de Prévoisin – consultant Expérience Client, Retail, auteur de « RETAIL ÉMOTIONS, retail in motion ». Community manager indépendant pour Job Watch
Formidable de voir ton évolution et d’admirer ta vraie passion. C’est ainsi que le succès arrive! Félicitations